Les Canadiens doivent revoir leur façon de penser et de discuter de politique étrangère. Les dirigeants politiques, l’élite intellectuelle et la population générale du Canada ont souvent du mal à concevoir l’engagement international de leur pays en matière d’intérêts. Notre discours sur la politique étrangère se réfère fréquemment à « qui nous sommes » et à notre « rôle dans le monde » – essentiellement, une conversation sur nous-mêmes, avec nous-mêmes. Cependant, à mesure que le monde devient plus multipolaire et que l’influence relative du Canada diminue, notre pays ne peut se permettre de négliger l’établissement d’une véritable stratégie et d’une véritable diplomatie.
Dans le contexte de l’instabilité et des changements mondiaux, cet article vise à susciter une conversation nationale sur ce à quoi pourrait ressembler une politique étrangère canadienne davantage axée sur ses propres intérêts. Les auteurs affirment qu’une approche plus ciblée concentrée sur l’Arctique, l’Amérique du Nord et ses environs, offre une voie pour maximiser l’efficacité des ressources limitées du Canada et reconstruire progressivement les sources de la puissance nationale du pays.
Dans un discours prononcé devant le Club économique du Canada le 30 octobre 2023, la ministre des Affaires étrangères, Mélanie Joly, a souligné que les « plaques tectoniques de l’ordre mondial bougent sous nos pieds ». Dans ce nouveau monde, le Canada doit mener ce qu’elle appelle une « diplomatie pragmatique ».
La ministre Joly a raison de souligner que le Canada gagnerait à adopter une approche plus pragmatique dans son engagement avec le reste du monde. Cependant, être « pragmatique » va au-delà de la simple reconnaissance, comme l’a souligné judicieusement Joly, de la nécessité d’éviter de diviser le monde en « camps idéologiques rigides ». Le défi réside également dans une mythologie obsolète autour du prétendu « rôle dans le monde » du Canada, à laquelle notre élite politique et intellectuelle s’accroche par réflexe, de manière parfois obstinée.
Ce dont le Canada a réellement besoin, c’est d’une politique étrangère ancrée dans l’intérêt national. Le fondement intellectuel d’une telle politique étrangère repose non seulement sur la compréhension des récents changements mondiaux, mais également sur l’acceptation de la réalité de notre déclin national. En d’autres termes, nous ne jouissons plus de l’influence que nous avions auparavant. Cependant, cela ne devrait en aucun cas nous décourager : l’influence n’est pas une fin en soi, mais plutôt un moyen d’atteindre un objectif.
Le Canada ne peut plus être considéré comme une puissance intermédiaire et doit donc éviter de se disperser. Il devrait plutôt chercher à maximiser son influence dans les domaines où ses intérêts fondamentaux sont le plus en jeu. Dans un monde caractérisé par des défis multiples et des priorités concurrentes, cela implique de donner la priorité à l’Arctique (et à l’Amérique du Nord), et d’ajuster notre engagement mondial en conséquence.
La recette du succès du Canada depuis la Seconde Guerre mondiale reposait sur l’ancrage de sa politique étrangère dans le maintien de bonnes relations avec son voisin américain, tout en renforçant cela par un engagement en faveur du multilatéralisme. Ce dernier aspect agissait également comme une sorte « d’assurance », renforçant la perception que le Canada était un acteur autonome, doté de caractéristiques et d’intérêts distincts de ceux des États-Unis.
Ces deux piliers ne convergent plus pour former une base cohérente sur laquelle construire la position internationale du Canada. Même sous l’administration Biden, il est devenu évident que les actions américaines ne visent pas uniquement à maintenir un ordre international fondé sur des règles. Avec un « mépris tenace envers les intérêts fondamentaux de ses adversaires potentiels », Washington a contribué à éroder le degré d’engagement des autres puissances envers un ordre international fondé sur des règles communément acceptées. Aucune des grandes puissances n’est entièrement satisfaite du statu quo international actuel ; il est donc difficile d’affirmer que l’une d’entre elles agit entièrement pour la défense de l’ordre existant. Ainsi, à mesure que le pouvoir mondial devient plus diffus, les institutions créées pour maintenir la paix et la sécurité internationales subissent des épreuves qui mettent en péril leur survie même.
À mesure que le monde a évolué, le Canada a suivi le mouvement. Notre population est plus nombreuse et plus diversifiée qu’il y a quelques décennies. Dans un contexte de tensions géopolitiques croissantes et d’avancée des changements climatiques, notre région arctique prend une importance accrue. Cependant, malgré ces changements considérables, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays, le Canada semble dépourvu d’un cap clair. Son objectif et ses aspirations semblent flous, aussi bien pour lui-même que pour les autres, engendrant une politique étrangère improvisée et réactive.
Le Canada ne représente plus une source d’idées novatrices pour l’agenda international, que ce soit dans le maintien de la paix, l’interdiction des mines antipersonnel ou la promotion de la sécurité humaine. Son économie a connu un déclin à mesure que le monde devenait plus multipolaire, l’empêchant ainsi de tirer parti d’un ordre international façonné par ses alliés superpuissants successifs – d’abord la Grande-Bretagne, puis les États-Unis. De plus, sa réputation a été entachée par deux tentatives consécutives infructueuses d’obtenir un siège au Conseil de sécurité de l’ONU.
Bien que des efforts récents aient été entrepris pour évaluer l’état des services de politique étrangère du pays, des décennies se sont écoulées depuis la dernière révision exhaustive de la politique étrangère de Canada. Il est grand temps de reconsidérer la nature et la portée de nos intérêts nationaux. Une nouvelle conception, fondée sur des principes fondamentaux, s’avère nécessaire pour tenir compte des évolutions dans l’ordre international et du déclin relatif du Canada sur la scène mondiale.
À cette fin, les dirigeants et les décideurs politiques devraient délaisser les discours et hypothèses dépassés au profit d’un paradigme qui harmonise les faits immuables de la géographie avec les réalités en constante évolution de la polarité, de la culture et de l’ordre mondial. Il en résulterait une politique étrangère canadienne qui classe ses priorités de manière plus stratégique et qui alloue judicieusement ses ressources limitées en conséquence, en choisissant d’accomplir certaines actions de manière efficace plutôt que de s’immiscer de manière superflue dans tous les débats.
Pour orienter notre réflexion sur notre stratégie nationale et, à terme, inverser notre déclin international, notre boussole mentale devrait pointer vers le nord. Accorder la priorité à la région circumpolaire et, de manière plus générale, au continent pourrait ne pas être la seule réponse alignée sur les intérêts face à un monde en mutation et à la place changeante du Canada au sein de celui-ci. Cependant, à travers l’analyse ci-dessous, nous cherchons à susciter une discussion nationale sur deux thèmes majeurs : (a) la nécessité pour les Canadiens de réorienter leur manière de penser et de discuter de la politique étrangère de leur pays et (b) à quoi pourrait ressembler une politique étrangère ancrée dans nos intérêts nationaux, prenant en compte les nouvelles réalités d’un monde diversifié et le fait que le Canada y exerce moins d’influence.
Depuis 1945, des discours politiques internes ont émergé au Canada contribuant à instaurer un certain degré de cohérence dans la politique étrangère du pays, à favoriser une identité nationale partagée et à maintenir le consensus au sein de l’élite et de la population en faveur du maintien du statu quo. Ces discours étaient principalement fondés sur trois aspects, qui aujourd’hui ne sont plus capables de soutenir une conception cohérente de l’intérêt national.
L’un de ces aspects consistait à affirmer que le statut et le pouvoir relatifs du Canada dans le système international devraient influencer la forme de sa politique étrangère. Selon cette perspective, le Canada, en tant que puissance moyenne, était enclin à jouer un rôle de contributeur, sinon celui d’acteur important, au sein de l’alliance occidentale et des institutions multilatérales, parfois servant de lien entre ses alliés et d’autres États.
Cependant, bien que le Canada conserve un siège au sein du G7, il ne figure plus véritablement parmi les puissances moyennes. Cette évolution découle en partie d’un sous-investissement chronique dans ses capacités diplomatiques et militaires, mais également de l’émergence de puissances non occidentales, telles que la Chine, l’Inde, l’Indonésie et l’Arabie saoudite, contribuant au déclin relatif du Canada. Cela s’explique également par le fait que, avec la contestation croissante des ordres régionaux de l’Europe à l’Indopacifique, le statut de puissance moyenne dépend de plus en plus de la capacité d’un pays à jouer un rôle prépondérant au sein d’un ordre de sécurité régional. Actuellement, le Canada ne jouit de ce statut ni en Europe ni en Asie.
Une deuxième perspective considère les valeurs libérales comme le facteur principal influençant l’engagement du Canada sur la scène mondiale. Cependant, les intérêts et les valeurs du Canada ne se renforcent pas toujours mutuellement dans l’ordre international contesté d’aujourd’hui. La discussion des valeurs et des intérêts en termes vagues et flous n’aide pas non plus, rendant ces deux concepts plus génériques et moins significatifs pour les Canadiens.
La crise actuelle de l’ordre international libéral est en partie attribuable à la surexpansion occidentale dans le domaine de la promotion des valeurs et de la construction étatique. Des visions alternatives de l’ordre international ont émergé, mettant l’accent sur le développement économique et la spécificité culturelle plutôt que sur les réformes sociales libérales, économiques et politiques, et remettant en question le modèle libéral. Pour relever le défi crucial du changement climatique, des États stables et capables sont nécessaires, un impératif qui peut parfois entrer en conflit avec la promotion de la démocratie ou les efforts de changement de régime.
Les conceptions du « statut » et des « valeurs » ont historiquement convergé pour façonner une certaine compréhension nationale du « rôle du Canada dans le monde ». Cependant, dans un ordre international en constante mutation, il n’existe pas d’interprétation statique du « rôle du Canada dans le monde ». Le Canada ne semble pas non plus incarner l’image d’un médiateur honnête, Ottawa consacrant une part croissante de ses efforts à la gestion de ses relations avec les États-Unis, que ce soit par l’intermédiaire de l’OTAN, du NORAD, de l’ACEUM ou, de plus en plus, dans la région de l’Indopacifique. En effet, les échecs de 2010 et 2020 à obtenir un siège au Conseil de sécurité des Nations Unies, bien que pour des raisons différentes, suggèrent que le Canada a une perception de lui-même qui diffère de celle que le reste du monde a de lui.
La troisième et dernière conception traditionnelle de la politique étrangère du Canada se concentre sur les alliances. Malgré le déclin relatif de l’Occident dans un monde devenu plus multipolaire, l’attention d’Ottawa demeure axée sur des alliances traditionnelles telles que l’OTAN. Cela contraste avec la période de la guerre froide, pendant laquelle le Canada ne perdait pas de vue le reste du monde, même s’il participait toujours à la formation d’alliances.
Cependant, au-delà de l’évolution de l’équilibre des puissances sur la scène internationale, la plus grande faiblesse de cette troisième approche réside dans sa définition des intérêts canadiens de manière relationnelle et réactive, plutôt que sur la base de principes fondamentaux. Cela se manifeste avec les rares « intérêts nationaux » que les Canadiens semblent instinctivement capables d’articuler : la nécessité d’être perçu comme un bon allié, le désir d’obtenir « une place à la table » et, plus récemment, la tentative de présenter le pays comme une « puissance qui rassemble ». De telles notions sont peut-être avancées comme des moyens de compenser la portée plus restreinte des intérêts fondamentaux du Canada lorsqu’ils sont examinés à travers le prisme de la géographie. Cependant, bien que le Canada ne puisse défendre ses intérêts seul, cela ne justifie pas d’éluder la responsabilité de les définir.
Les faiblesses de ces trois approches laissent la politique étrangère canadienne sans boussole dans un monde en rapide évolution. En conséquence, l’attention est trop souvent dirigée vers ce que l’on « aimerait avoir » – ou vers des réactions face aux événements mondiaux et aux pressions des alliés ou des groupes de la diaspora – plutôt que vers la défense et la promotion d’un ensemble clair d’intérêts nationaux fondamentaux. Les ressources limitées du pays se retrouvent ainsi trop sollicitées alors qu’il réagit défensivement d’une crise à l’autre.
Sans une vision claire, Ottawa risque également de creuser un écart entre des déclarations nobles et des réalisations médiocres. Si la définition des intérêts du Canada de manière relationnelle vise en partie à préserver une bonne réputation, cette approche risque ironiquement d’être contre-productive. De plus, faire de la croissance de sa stature au sein d’une alliance un objectif politique confond les moyens et les fins, brouillant davantage la perception de ce qui constitue un intérêt national.
Participer au jeu tout en ayant constamment de mauvaises cartes n’est pas une formule gagnante. Des intérêts plus limités, clairement définis et explicitement communiqués sont plus utiles pour l’image internationale du Canada que de faire de grandes déclarations et de ne pas les concrétiser.
En résumé, les approches traditionnelles pour penser nos intérêts nationaux ne sont plus adéquates. Toutefois, les deux principales manières dont le Canada a jusqu’à présent réagi aux changements de l’ordre international ont largement suivi l’un ou l’autre aspect d’une approche déjà existante.
Certains partisans d’une approche plus « libérale » soutiennent que la réponse du Canada à un ordre qui s’effrite devrait consister à renforcer cet ordre, c’est-à-dire à intensifier les efforts en faveur d’une approche axée sur les valeurs et le multilatéralisme dans l’engagement mondial du Canada. De toute évidence, il s’agit d’un domaine dans lequel les Canadiens se sentent à l’aise d’évoluer, tant sur le plan pratique que discursif.
Bien sûr, le Canada a un intérêt naturel à défendre un système international prévisible et fondé sur des règles, car cela est bénéfique pour le commerce et la sécurité. Cependant, cette approche, à elle seule, a pour conséquence d’éviter de prendre en compte certains des dilemmes auxquels le Canada est confronté actuellement. Lorsque la substance normative d’un ordre international est contestée, la promotion des valeurs peut être davantage une source d’instabilité mondiale que de stabilité. Comme l’a souligné Janice Stein, bien qu’un ordre libéral puisse servir les intérêts économiques du Canada étant donné l’association du libéralisme avec le libre-échange, les intérêts d’Ottawa en matière de sécurité exigent un soutien à un ordre fondé sur des règles, mais pas nécessairement libéral. Faciliter le multilatéralisme dans un monde politiquement diversifié n’est pas facilement conciliable avec une diplomatie du mégaphone.
Les tensions actuelles entre les grandes puissances contribuent de plus en plus à la bifurcation de l’ordre international et à l’érosion des règles convenues. Pourtant, les dirigeants politiques canadiens n’ont pas pris la peine de se prononcer sur la question de savoir si la préservation d’un ordre mondial unique, du moins dans une certaine mesure plausible, devrait constituer une priorité stratégique. Au lieu de cela, ils préfèrent présenter les contributions du pays tant au multilatéralisme mondial qu’aux alliances militaires comme des efforts visant à renforcer l’ordre international fondé sur des règles. Ainsi, l’ordre fondé sur des règles devient davantage un dispositif rhétorique défini de manière opaque plutôt qu’un intérêt national clair à défendre.
D’autres voix, plus enclines à adopter une approche « belliciste », exhortent le Canada à prendre sérieusement en considération les réalités d’un monde en mutation en s’engageant plus pleinement dans la nouvelle compétition entre grandes puissances. Étant donné l’incapacité du Canada à influencer seul les calculs stratégiques de la Russie ou de la Chine, cela implique invariablement de renforcer l’attention et l’engagement du Canada envers les alliances. Cela signifie approfondir les partenariats de sécurité existants tout en en forgeant de nouveaux avec des pays supposément « compatibles ». Cependant, emprunter cette voie repose tout autant sur l’idéologie que sur la Realpolitik.
L’erreur commise par les approches à la fois « libérale » et « belliciste » réside dans leur persistance à supposer que la double poursuite des intérêts et des valeurs du Canada est un processus qui se renforce mutuellement. Quelle que soit la combinaison précise entre le renforcement du multilatéralisme, la promotion des valeurs libérales à l’échelle mondiale, ou la collaboration avec des États libéraux, il y a une réticence à s’engager dans les compromis que la réduction de l’influence mondiale entraîne invariablement dans un monde interconnecté.
Tout comme dans les années 1970, la politique étrangère canadienne nécessite à nouveau une « troisième option » pour surmonter les limites d’un statu quo insatisfaisant et le risque d’une dépendance excessive envers les États-Unis. La question est toutefois de savoir si cette troisième option devrait viser à renforcer le profil mondial du Canada, comme c’était le cas il y a un demi-siècle, ou si elle devrait s’appuyer sur une forme d’engagement international plus ciblé, mais peut-être plus efficace. Cela nécessite donc une discussion approfondie sur la nature des intérêts du Canada sur la scène mondiale.
Une conception des intérêts nationaux canadiens repose sur trois sources principales : les liens culturels, la forme que prend l’ordre international et les réalités imposées par la géographie. Il faut distinguer celles-ci des objectifs souhaités tels que la sécurité, la prospérité, l’autonomie ou l’influence. Ces trois sources constituent plutôt les éléments qui influent sur la manière dont les dirigeants d’Ottawa peuvent interpréter la nature et la portée des intérêts du Canada, ce qui conduit ensuite à la définition d’objectifs stratégiques.
La première source, la culture, suggère que les intérêts du Canada résident principalement dans le partenariat avec les pays occidentaux et les pays associés en raison de similitudes culturelles, largement indépendamment d’autres considérations telles que la répartition mondiale du pouvoir ou les règles qui façonnent l’ordre international. Cependant, dans une société multiculturelle, que cela signifie-t-il ? Selon le recensement canadien de 2021, un Canadien sur quatre appartenait à un groupe minoritaire non blanc et non autochtone, dont les plus importants étaient d’origine sud-asiatique (7,1 %), chinoise (4,7 %) et noire (4,3 %). Entre 2016 et 2021, le nombre de citoyens canadiens parlant principalement une langue sud-asiatique (comme le gujarati, le pendjabi, l’hindi ou le malayalam) à la maison a augmenté huit fois plus que l’ensemble de la population canadienne au cours de cette période.
Le visage du Canada est en train de changer. Avec un demi-million de nouveaux immigrants chaque année, cette tendance est appelée à s’accentuer. Si la culture est un facteur déterminant des intérêts et de la politique étrangère du Canada, de quelle culture parlons-nous ? Et avec quels pays le Canada devrait-il chercher à établir des partenariats ? Le risque est que, en l’absence d’une valorisation et d’un enracinement suffisants de la culture civique de base, la politique étrangère se trouve constamment tirée dans différentes directions pour satisfaire les intérêts des diasporas.
La deuxième source suggère que le Canada s’intéresse avant tout au maintien d’un ordre international stable, tenant compte à la fois des règles convenues de cet ordre et de l’équilibre des puissances le plus susceptible de les préserver. Dans ce cas, l’ensemble des États avec lesquels le Canada peut forger des partenariats profonds et durables est plus étendu, mais certains de ces pays ne sont pas les mêmes que ceux avec lesquels nous partageons des similitudes culturelles, voire les mêmes valeurs.
Les contradictions entre ces deux conceptions devraient être évidentes. Par exemple, si l’intérêt du Canada réside principalement dans la préservation d’un ordre international fondé sur des règles, Ottawa devrait condamner toutes les transgressions contre les normes établies, quel que soit l’auteur. Cependant, le discours de la politique étrangère canadienne a montré peu de difficulté à qualifier la Russie et la Chine de menaces pour l’ordre fondé sur des règles, même si Ottawa a ouvertement soutenu des cas de violation du droit international par les États-Unis. De toute évidence, d’autres facteurs influencent la manière dont le Canada calcule ses intérêts nationaux au-delà du simple désir de voir les normes internationales appliquées de manière uniforme.
De manière similaire, si Pékin s’engageait sans ambiguïté à soutenir un ordre multilatéral, une économie mondiale ouverte et la liberté de navigation, le Canada serait-il plus enclin à établir un partenariat étroit avec la Chine ? Le Canada se soucie-t-il des pays qui émergent en tant qu’hégémons régionaux ? Ou bien, est-ce dans l’intérêt du Canada d’entraver l’émergence de la Chine en tant qu’acteur dominant en matière de sécurité dans l’Indopacifique, en raison du souhait de maintenir les pays occidentaux comme les principaux déterminants des termes mondiaux ? Et s’il est dans l’intérêt national de contrecarrer la montée en puissance de la Chine, le Canada ne devrait-il pas forger des partenariats régionaux avec des acteurs dont le bilan en matière de démocratie et de droits humains est loin d’être parfait ? Une conception culturelle ou normative de l’intérêt national peut-elle réellement concilier intérêts et valeurs ?
La question à se poser est donc la suivante : dans quelle mesure les impératifs culturels et normatifs de la politique étrangère canadienne l’emportent-ils sur une compréhension géographique de la nature et de la portée des intérêts nationaux du pays, tant aujourd’hui que dans le futur ?
Compte tenu de la capacité limitée du Canada à façonner les contours tant du multilatéralisme mondial que des ordres de sécurité régionaux, aussi bien dans le contexte actuel que dans un avenir prévisible, le maintien d’une approche de politique étrangère favorisant les préférences normatives et culturelles risque probablement d’accentuer la dépendance du Canada à l’égard des États-Unis. Cela pourrait également disperser plutôt que concentrer l’attention d’Ottawa. Cela ne serait pas nécessairement problématique si le Canada avait démontré sa capacité à influencer la politique étrangère des États-Unis, mais l’histoire pointe dans la direction opposée : non seulement Ottawa se montrera incapable de freiner Washington face à ce qu’il perçoit comme une menace chinoise existentielle, mais les États-Unis imposeront également des mesures limitant la marge de manœuvre de la politique étrangère canadienne.
Avec le déclin du profil mondial du Canada et la mise en évidence croissante des contradictions entre les valeurs et des impératifs plus neutres en matière de valeur, une approche fondamentale de l’intérêt national devrait revenir aux réalités de la géographie. Cela, tout en maintenant l’engagement du Canada en faveur d’un environnement international stable, fondé sur le renforcement de l’État de droit et la promotion d’un consensus mondial. Cependant, même dans ce cas, le Canada a simplement besoin d’un ordre international conforme à ses intérêts. Cela nécessite de se défaire des lieux communs sur une prétendue nécessité d’un « leadership » canadien, d’accepter que l’ordre international soit en évolution et qu’Ottawa ne puisse pas changer ce fait, et de se concentrer sur les domaines politiques où l’intérêt national et les impératifs de la gouvernance mondiale se rejoignent.
Le fait que le Canada détient une influence et des ressources limitées devraient encourager ses dirigeants à articuler une conception plus restreinte de l’intérêt national. Cela servirait à informer le public canadien, à gérer les attentes des alliés et à stabiliser les relations avec les adversaires en évitant les perceptions erronées sur les intentions mutuelles. Une telle approche apporterait un élément supplémentaire de prévisibilité à toutes les instances internationales auxquelles le Canada participe, fournirait une base essentielle au processus d’élaboration des politiques et aiderait à ancrer les décisions politiques. De manière cruciale, la codification des intérêts nationaux peut également jouer un rôle dans l’unification de la population, ce qui est important pour une société de plus en plus diverse.
À l’heure actuelle, Ottawa ne dispose pas d’une influence suffisante au sein des forums multilatéraux mondiaux ou dans les architectures de sécurité régionaux en Europe ou en Asie pour pouvoir y mener une politique étrangère indépendante. En conséquence, la politique étrangère canadienne se concentre de plus en plus sur le maintien de bonnes relations avec les États-Unis. Étant donné la tendance de Washington à prendre des mesures décisives et unilatérales dans le contexte de l’aggravation actuelle de la compétition entre grandes puissances, cela force Ottawa de se maintenir constamment en mode réactif.
La situation exige que le Canada élabore un nouveau calcul stratégique adapté à l’ère de la compétition entre grandes puissances et de l’instabilité mondiale qui façonnera probablement la politique internationale pour les quelques décennies à venir, à condition qu’elle puisse être maintenue sans recourir à la guerre. Ce nouveau calcul devrait reposer sur deux prémisses principales. Premièrement, les ressources limitées du pays devraient être réorientées vers une politique étrangère axée principalement sur l’Amérique du Nord et l’Arctique. Deuxièmement, cette réorientation devrait être utilisée de manière stratégique pour entreprendre une période soutenue de renforcement des capacités nationales, dans le but de permettre au Canada de sortir de la période actuelle d’instabilité mondiale avec une plus grande marge de manœuvre.
Contrairement à une approche axée principalement sur le maintien de bonnes relations avec les États-Unis, une politique étrangère continentale serait une affirmation de la souveraineté canadienne. Dans le cadre de cette stratégie, les partenariats de sécurité, les engagements militaires et la participation à l’OTAN et au NORAD ne seraient pas fondés sur la logique selon laquelle la contribution aux opérations alliées représente une fin en soi, ni sur une perception du besoin de « prendre les devants » en réponse à la pression américaine. Au contraire, cette politique serait poursuivie parce qu’elle contribue clairement à la défense du Canada.
En s’appuyant sur la nouvelle Stratégie du Canada pour l’Indo-Pacifique, qui conçoit le Pacifique Nord comme le voisinage du Canada et, par voie de conséquence, comme un prolongement naturel de la défense du Canada lui-même, Ottawa devrait réorienter ses efforts au sein de l’OTAN en faveur de la défense de l’Arctique. Une telle entreprise a encore plus de sens avec l’adhésion de la Suède et de la Finlande à l’OTAN, offrant au Canada l’opportunité d’assumer un rôle de premier plan au sein d’un groupe de sept États alliés de la région circumpolaire, représentant près d’un quart des membres de l’alliance.
L’Amérique du Nord fait tout autant partie de l’OTAN que l’Europe, et il est tout à fait logique que les alliés se préoccupent principalement de la défense de leur propre secteur de la région nord-atlantique. Loin d’être un geste égoïste, un rôle accru du Canada dans l’élimination des menaces crédibles pour l’Amérique du Nord libérerait l’attention et les ressources de Washington pour se concentrer sur l’Europe et l’Asie, tout en soutenant les alliés transatlantiques chargés de faire face à la Russie dans l’Arctique européen et de limiter l’accès de Moscou à l’Atlantique Nord. Comme l’a argumenté Timothy Sayle, bien plus que d’assurer une présence renforcée en Lettonie (aussi importante soit-elle), assurer la défense de l’Amérique du Nord est peut-être la contribution la plus importante – et la plus unique – que le Canada puisse apporter à l’OTAN, étant donné que la Russie se trouve non seulement à l’est de l’alliance, mais aussi au nord.
L’objectif de cette « contraction » géographique de la sécurité autour de l’Arctique n’est pas d’ignorer d’autres aspects de la politique étrangère, mais plutôt de permettre à Ottawa de consolider ses ressources et de mieux cibler ses priorités. Un tel recalibrage de la politique étrangère devrait entraîner des conséquences logiques en termes de dépenses de défense et de décisions concernant le déploiement des troupes et des capacités. Les efforts de recrutement et de rétention des Forces armées canadiennes devraient être élaborés et ajustés en tenant compte de cette nouvelle priorité nationale, qui devrait également être complétée par une diplomatie régionale robuste pour gérer les tensions entre les membres arctiques de l’OTAN et la Russie.
La question de savoir si la politique de défense renforcée d’Ottawa dans l’Arctique devrait se concentrer sur la défense aérospatiale ou avoir des objectifs plus vastes tels que la défense territoriale devrait être délibérée, expliquée au public et coordonnée avec les alliés concernés. Une partie de la réponse devrait résider dans une analyse coûts-avantages de la flexibilité que le Canada souhaite préserver pour répondre à divers défis extrarégionaux. Cependant, une chose semble claire : l’adhésion à l’OTAN des alliés du Canada dans la région circumpolaire, combinée au fait que l’Arctique canadien est plus facile d’accès à partir de l’Atlantique que depuis le Pacifique, suggère qu’Ottawa ne devrait pas consacrer ses ressources limitées à accroître son rôle en matière de sécurité dans l’Indopacifique au-delà du Pacifique Nord. Une telle entreprise ne contribuerait en aucun cas de manière substantielle à dissuader la Chine.
L’objectif à long terme de ce recalibrage devrait être de libérer de l’attention et des ressources pour investir dans le renforcement des capacités diplomatiques, les sources de pouvoir national et la culture de leadership stratégique du Canada. En ce qui concerne nos praticiens de la politique étrangère, cela pourrait consister en une formation intensive des diplomates en langues et en grande stratégie, leur fournissant les compétences nécessaires pour rester agiles dans un monde en rapide évolution, en parallèle du maintien d’un réseau mondial d’ambassades. Dans le domaine du pouvoir national, cela inclurait un programme complet visant à augmenter significativement et durablement la population du pays.
Pour Ottawa, un autre domaine où moins pourrait signifier plus est celui du multilatéralisme. Le Canada pourrait envisager de concentrer ses ressources sur un petit nombre de défis de politique internationale pour lesquels il pourrait déployer le maximum d’efforts. Non seulement cela permettrait de libérer de l’attention pour d’autres priorités stratégiques, mais cela permettrait également de rendre la marque internationale du Canada plus reconnaissable. De plus, cette approche plus ciblée augmente les chances d’Ottawa de favoriser un consensus international fondé sur des résultats plus ambitieux, plutôt que sur le plus petit dénominateur commun, surtout dans des domaines stratégiques clés où les intérêts et les capacités du Canada convergent.
À cet égard, l’une des priorités politiques pourrait être le financement innovant en faveur des Objectifs de développement durable, une priorité plus inclusive que la promotion de la démocratie dans un monde politiquement diversifié, et un domaine où le Canada jouit d’une certaine crédibilité grâce à ses caisses de pension. Une autre priorité pourrait porter sur les contributions au droit de la mer, au droit maritime et à l’économie bleue, où le Canada a des intérêts légitimes et bien ancrés. Cela s’alignerait sur la longue histoire du Canada dans l’extraction et l’exportation des ressources, ainsi que sur sa géographie caractérisée par des océans des deux côtés et de la glace au nord. Un troisième domaine d’action dans lequel le Canada a d’amples connaissances à apporter pourrait être la santé mondiale, une question d’une grande importance tant pour les Canadiens que pour les pays du Sud global.
Étant donné la nature continentale de la réorientation proposée, le Mexique ne devrait pas être oublié. Le Canada partage des intérêts communs avec le Mexique en matière de commerce et de sécurité. En s’appuyant sur la présence consulaire déjà importante du Mexique aux États-Unis, un premier objectif pourrait être d’élargir aussi la présence canadienne, de regrouper des ressources avec Mexico et de concevoir une stratégie commune pour gérer le virage protectionniste des États-Unis. De manière plus générale, les responsables politiques devraient discuter de la manière dont Ottawa peut mieux tirer parti de ses relations avec l’Amérique latine et les Caraïbes afin de renforcer l’ancrage nord-américain de notre politique étrangère. Le bilan récent du Canada en la matière laisse place à l’amélioration, compte tenu des efforts inefficaces et controversés d’Ottawa visant un changement de régime au Venezuela.
Afin d’affiner son profil et de préparer l’avenir, il est dans l’intérêt du Canada de s’impliquer davantage sur plusieurs questions importantes tant pour le Canada que pour le monde. Parmi celles-ci, la relation entre l’environnement et la sécurité occupe une place centrale. Le Canada a un intérêt à contribuer à la gestion des bouleversements causés par les changements climatiques et à promouvoir des politiques visant à vivre en harmonie avec la nature, s’inspirant de siècles d’expérience des communautés autochtones du pays.
Le Canada est reconnu pour sa beauté et ses ressources naturelles, entouré par trois océans ainsi que par la neige et la glace au nord, riche en forêts et en eau. Une planète en bonne santé est dans l’intérêt national du Canada. Pour son propre bénéfice et afin de contribuer à la préservation de la planète, le Canada pourrait jouer un rôle actif dans la gouvernance internationale des océans, l’utilisation pacifique de l’espace extra-atmosphérique, la protection de l’atmosphère terrestre (en s’appuyant sur le Protocole de Montréal), la préservation de la biodiversité (en s’appuyant sur le succès de la COP15 à Montréal) et la gestion des régions polaires.
Le Canada devrait également mettre à profit sa position de grande puissance en matière d’énergie. Le Canada figure parmi les cinq premiers producteurs mondiaux de pétrole, de gaz et d’hydroélectricité et est également un important producteur d’uranium et de minéraux critiques nécessaires à l’économie verte et numérique. Par conséquent, une autre priorité de la politique étrangère devrait être de garantir la prévisibilité des marchés de l’énergie, des voies d’approvisionnement et des partenariats. Cependant, le Canada devrait veiller à ne pas aborder ce dossier uniquement à travers une perspective géopolitique ou centrée sur les alliances, afin de ne pas contribuer davantage à la fragmentation de l’ordre international.
Une façon facile de se souvenir, d’exprimer et de hiérarchiser ces intérêts nationaux est probablement le mot anglais le plus souvent utilisé pour décrire les Canadiens : NICE.
N (North America) = Amérique du Nord
I (International Stability) = Stabilité internationale
C = Climat
E = Énergie
Cette nouvelle posture stratégique conférerait aux politiciens, fonctionnaires et analystes à Ottawa une plus grande clarté pour articuler les objectifs politiques d’un nouvel effort de gagner un siège au Conseil de sécurité de l’ONU dans les années 2030, si les planificateurs politiques estiment une telle entreprise utile. Cela accorderait au Canada un rôle plus important dans la défense du Grand Nord, y compris au sein de l’OTAN. Un investissement accru dans les capacités arctiques fournirait des bases pour une diplomatie beaucoup plus active avec de nombreux États clés et organisations internationales, y compris l’ONU, en ce qui concerne le changement climatique. Cela fournirait à Ottawa un ensemble cohérent de priorités à articuler et donnerait aux Canadiens un sentiment renouvelé de fierté à l’égard de leur image nationale.
Enfin, l’implication logique d’une politique étrangère continentale est qu’il doit y avoir des paradigmes élaborés au Canada pour gérer les relations avec la Russie et la Chine, qui se trouvent respectivement de l’autre côté de l’Arctique et du Pacifique Nord.
Dans le cas de la Russie, le Canada pourrait éventuellement explorer des moyens par lesquels un Conseil de l’Arctique ressuscité pourrait servir de mécanisme de réassurance pour compléter la dissuasion imposée par les « sept de l’Arctique » de l’OTAN. En ce qui concerne la Chine, Ottawa devrait identifier des domaines larges pour son engagement, afin de préserver un espace maximal de coopération sur des dossiers spécifiques, sinon les dynamiques politiques pourraient imposer des limites là où la coopération aurait pu s’avérer bénéfique. Cela nécessitera un exercice d’équilibre délicat, mais pourrait être facilité si le Canada avait un ensemble d’intérêts nationaux plus reconnaissables, ce qui pourrait encourager Moscou et Pékin à investir davantage de ressources dans leurs relations bilatérales avec Ottawa plutôt que de le considérer comme un vassal des États-Unis.
Les éléments énumérés ici dans le cadre de la posture stratégique proposée ne sont pas exhaustifs. Par exemple, la cybersécurité est un autre domaine dans lequel le Canada et les Canadiens pourraient jouer un rôle important. Nous n’excluons pas non plus la possibilité de conceptions alternatives de la politique étrangère canadienne fondée sur les intérêts.
Il s’agit ici plutôt de susciter un débat national en illustrant ce à quoi pourrait ressembler une réponse cohérente à des décennies de déclin : une réponse qui se concentre sur les intérêts fondamentaux, qui cherche délibérément à surmonter l’inertie tant mentale que politique ; une réponse qui allie les réalités immuables de la géographie à une vision de long terme dans un environnement complexe ; et une réponse qui est non seulement prête à reconnaître que le monde a changé, mais qui est également prête à admettre que le statut international et le caractère national du Canada ont évolué, et à agir en fonction de cette réalité.
Dans un contexte où l’ordre international demeure contesté sans nécessairement aboutir à un conflit armé à grande échelle, il est probable que les tensions sécuritaires régionales deviennent la norme. L’influence ne résidera pas seulement chez les grandes puissances qui s’affronteront dans ces points chauds, mais aussi chez les puissances moyennes locales suffisamment fortes pour établir des règles régionales et modérer le conflit des grandes puissances. Cependant, dans un avenir prévisible, le Canada ne sera pas en mesure de définir les paramètres des différends entre les États-Unis et la Chine, ainsi qu’entre l’OTAN et la Russie. Ottawa ne peut pas modeler l’ordre en Asie au même degré que Tokyo, New Delhi, Jakarta ou Canberra, ni celui de l’Europe dans la même mesure que Paris, Berlin, Bruxelles ou Londres.
La conclusion semble claire : c’est seulement en Amérique du Nord que le Canada peut devenir un acteur clé dans un contexte régional. Et contrairement aux décennies passées, l’intérêt de la Russie et de la Chine pour le Grand Nord et leurs percées diplomatiques en Amérique latine suggèrent que l’espace nord-américain au sens large risque de rejoindre les rangs des ordres régionaux contestés, du moins dans une certaine mesure. Cela nécessite une correction modeste du déséquilibre des pouvoirs entre les États-Unis et le Canada – non en matière d’influence relative mondiale, mais plutôt en matière de capacité locale relative – afin que le Canada puisse éventuellement rejoindre à nouveau les rangs des puissances moyennes.
Un retour au statut de puissance moyenne dépend du Canada incarnant à nouveau « l’autre Amérique du Nord », plutôt que de poursuivre sa dérive vers une simple extension de la puissance américaine ou un critique moraliste des autocraties. Plutôt que de dégrader les relations avec Washington, un Canada plus affirmé, qui assume une plus grande responsabilité dans le domaine de la défense continentale – avec une population croissante et des ressources importantes – pourrait être un partenaire plus apprécié et respecté des États-Unis. Ce serait aussi un pays de plus en plus capable de définir les termes de ses relations avec ses alliés, ses partenaires et ses concurrents.
En bref, la politique étrangère canadienne a besoin d’une orientation. Elle a besoin d’une boussole pour aider le pays à naviguer à travers des moments difficiles, des relations changeantes ainsi que des menaces, des défis et des opportunités qui émergent. L’aiguille de cette boussole devrait pointer vers le nord, pour défendre les intérêts nationaux du Canada dans le Grand Nord et en Amérique du Nord.
Depuis mai 2022, l’Institut pour la paix et la diplomatie (Institute for Peace & Diplomacy) a orchestré une série de tables rondes mensuelles rassemblant des chercheurs canadiens en affaires internationales, des experts en politiques, des diplomates, et d’autres acteurs de la politique étrangère dans le cadre de son projet intitulé « Les intérêts du Canada dans un ordre mondial en mutation » (« Canada’s Interests in a Shifting Order »). L’objectif de ces sessions était d’engager une réflexion sur la manière dont la nature et la portée des intérêts nationaux du Canada pourraient évoluer à mesure que le monde devient plus multipolaire. Conduites sous la règle de Chatham House, chaque session a réuni entre 10 et 25 participants, se focalisant sur l’exploration des évolutions des intérêts nationaux du Canada dans diverses régions et sur plusieurs thématiques politiques.
La finalité essentielle du projet n’était pas d’identifier de nouvelles menaces auxquelles le Canada devrait faire face, mais plutôt de déterminer comment le pays pourrait adopter une approche plus ancrée sur des principes de base en matière de politique étrangère, fondés sur des éléments structurels comme la géographie nationale et l’équilibre des puissances. Sans une discussion à la fois conceptuelle et pragmatique sur la portée des intérêts du Canada sur la scène mondiale, il devient impossible de définir des objectifs politiques appropriés ou d’identifier les ressources et les capacités qui doivent être développées (ou réaffectées) pour atteindre ces objectifs.
Ce document, intitulé « Le Grand Nord : Une politique étrangère canadienne qui place l’intérêt national au premier plan », constitue le résultat final du projet. Son objectif est d’initier une discussion nationale sur la manière de reformuler la politique étrangère et le discours international du Canada à travers une perspective centrée sur les intérêts nationaux. Cette approche prend en considération non seulement les caractéristiques émergentes d’un monde multipolaire, mais également la réalité de plus en plus manifeste du déclin relatif du Canada sur la scène mondiale.
Outre une série d’analyses succinctes, dans le cadre du projet, l’IPD a également copublié une série spéciale en partenariat avec Options politiques de l’Institut de recherche en politiques publiques (Institute for Research on Public Policy) et a organisé un colloque virtuel en septembre 2023 intitulé « Le Canada dans un ordre international en mutation : Débats sur nos intérêts nationaux ».
L’Institut exprime sa gratitude envers tous les participants aux tables rondes de son projet au cours des dix-huit mois du projet, ainsi qu’envers ceux qui ont contribué aux autres réalisations de ce dernier. Des remerciements particuliers sont adressés à Jeremy Kinsman (Distinguished Fellow, Conseil international du Canada), John Packer (Professeur agrégé, Université d’Ottawa), Rachel Samson (Vice-Présidente Recherche, Institut de recherche en politiques publiques) et Hugh Segal pour leur engagement actif et leurs conseils éclairés tout au long du projet. Bien que les points de vue exprimés dans ce livre blanc soient strictement ceux de ses auteurs, ces derniers tiennent à remercier les personnes suivantes pour avoir commenté des versions antérieures :
The Western powers have failed to effectively manage the increasing threat of proliferation in the Middle East. While the international community is concerned with Iran’s nuclear program, Saudi Arabia has moved forward with developing its own nuclear program, and independent studies show that Israel has longed possessed dozens of nuclear warheads. The former is a member of the treaty on the Non-Proliferation of Nuclear Weapons (NPT), while the latter has refused to sign the international agreement.
On Middle East policy, the Biden campaign had staunchly criticized the Trump administration’s unilateral withdrawal from the Joint Comprehensive Plan of Action (JCPOA), more commonly known as the Iran Nuclear Deal and it has begun re-engaging Iran on the nuclear dossier since assuming office in January 2021. However, serious obstacles remain for responsible actors in expanding non-proliferation efforts toward a nuclear-free zone in the Middle East.
This panel will discuss how Western powers and multilateral institutions, such as the IAEA, can play a more effective role in managing non-proliferation efforts in the Middle East.
Panelists:
– Peggy Mason: Canada’s former Ambassador to the UN for Disarmament
– Mark Fitzpatrick: Associate Fellow & Former Executive Director, International Institute for Strategic Studies (IISS)
– Ali Vaez: Iran Project Director, International Crisis Group
– Negar Mortazavi: Journalist and Political Analyst, Host of Iran Podcast
– David Albright: Founder and President of the Institute for Science and International Security
Closing (5:45 PM – 6:00 PM ET)
What is the current economic landscape in the Middle East? While global foreign direct investment is expected to fall drastically in the post-COVID era, the World Bank reported a 5% contraction in the economic output of the Middle East and North African (MENA) countries in 2020 due to the pandemic. While oil prices are expected to rebound with normalization in demand, political instability, regional and geopolitical tensions, domestic corruption, and a volatile regulatory and legal environment all threaten economic recovery in the Middle East. What is the prospect for economic growth and development in the region post-pandemic, and how could MENA nations promote sustainable growth and regional trade moving forward?
At the same time, Middle Eastern diaspora communities have become financially successful and can help promote trade between North America and the region. In this respect, the diaspora can become vital intermediaries for advancing U.S. and Canada’s business interests abroad. Promoting business diplomacy can both benefit the MENA region and be an effective and positive way to advance engagement and achieve foreign policy goals of the North Atlantic.
This panel will investigate the trade and investment opportunities in the Middle East, discuss how facilitating economic engagement with the region can benefit Canadian and American national interests, and explore relevant policy prescriptions.
Panelists:
– Hon. Sergio Marchi: Canada’s Former Minister of International Trade
– Scott Jolliffe: Chairperson, Canada Arab Business Council
– Esfandyar Batmanghelidj: Founder and Publisher of Bourse & Bazaar
– Nizar Ghanem: Director of Research and Co-founder at Triangle
– Nicki Siamaki: Researcher at Control Risks
The Middle East continues to grapple with violence and instability, particularly in Yemen, Syria and Iraq. Fueled by government incompetence and foreign interventions, terrorist insurgencies have imposed severe humanitarian and economic costs on the region. Meanwhile, regional actors have engaged in an unprecedented pursuit of arms accumulation. Saudi Arabia and the United Arab Emirates have imported billions of both Western and Russian-made weapons and funded militant groups across the region, intending to contain their regional adversaries, particularly Iran. Tehran has also provided sophisticated weaponry to various militia groups across the region to strengthen its geopolitical position against Saudi Arabia, UAE, and Israel.
On the other hand, with international terrorist networks and intense regional rivalry in the Middle East, it is impractical to discuss peace and security without addressing terrorism and the arms race in the region. This panel will primarily discuss the implications of the ongoing arms race in the region and the role of Western powers and multilateral organizations in facilitating trust-building security arrangements among regional stakeholders to limit the proliferation of arms across the Middle East.
Panelists:
Luciano Zaccara: Assistant Professor, Qatar University
Dania Thafer: Executive Director, Gulf International Forum
Kayhan Barzegar: Professor and Chair of the Department of Political Science and International Relations at the Science and Research Branch of Azad University
Barbara Slavin: Director of Iran Initiative, Atlantic Council
Sanam Shantyaei: Senior Journalist at France24 & host of Middle East Matters
The emerging regional order in West Asia will have wide-ranging implications for global security. The Biden administration has begun re-engaging Iran on the nuclear dossier, an initiative staunchly opposed by Israel, while also taking a harder line on Saudi Arabia’s intervention in Yemen. Meanwhile, key regional actors, including Qatar, Iraq, and Oman, have engaged in backchannel efforts to bring Iran and Saudi Arabia to the negotiating table. From a broader geopolitical perspective, with the need to secure its energy imports, China is also expected to increase its footprint in the region and influence the mentioned challenges.
In this evolving landscape, Western powers will be compelled to redefine their strategic priorities and adjust their policies with the new realities in the region. In this panel, we will discuss how the West, including the United States and its allies, can utilize multilateral diplomacy with its adversaries to prevent military escalation in the region. Most importantly, the panel will discuss if a multilateral security dialogue in the Persian Gulf region, proposed by some regional actors, can help reduce tensions among regional foes and produce sustainable peace and development for the region.
Panelists:
– Abdullah Baabood: Academic Researcher and Former Director of the Centre for Gulf Studies, Qatar University
– Trita Parsi: Executive Vice-President, Quincy Institute for Responsible Statecraft
– Ebtesam Al-Ketbi: President, Emirates Policy Centre
– Jon Allen: Canada’s Former Ambassador to Israel
– Elizabeth Hagedorn: Washington correspondent for Al-Monitor
Military interventions, political and economic instabilities, and civil unrest in the Middle East have led to a global refugee crisis with an increasing wave of refugees and asylum seekers to Europe and Canada. Moreover, the COVID-19 pandemic has, in myriad ways, exacerbated and contributed to the ongoing security threats and destabilization of the region.
While these challenges pose serious risks to Canadian security, Ottawa will also have the opportunity to limit such risks and prevent a spillover effect vis-à-vis effective humanitarian initiatives in the region. In this panel, we will primarily investigate Canada’s Middle East Strategy’s degree of success in providing humanitarian aid to the region. Secondly, the panel will discuss what programs and initiatives Canada can introduce to further build on the renewed strategy. and more specifically, how Canada can utilize its policy instruments to more effectively deal with the increasing influx of refugees from the Middle East.
Panelists:
Erica Di Ruggiero: Director of Centre for Global Health, University of Toronto
Reyhana Patel: Head of Communications & Government Relations, Islamic Relief Canada
Amir Barmaki: Former Head of UN OCHA in Iran
Catherine Gribbin: Senior Legal Advisor for International and Humanitarian Law, Canadian Red Cross
In 2016, Canada launched an ambitious five-year “Middle East Engagement Strategy” (2016-2021), committing to investing CA$3.5 billion over five years to help establish the necessary conditions for security and stability, alleviate human suffering and enable stabilization programs in the region. In the latest development, during the meeting of the Global Coalition against ISIS, Minister of Foreign Affairs Marc Garneau announced more than $43.6 million in Peace and Stabilization Operations Program funding for 11 projects in Syria and Iraq.
With Canada’s Middle East Engagement Strategy expiring this year, it is time to examine and evaluate this massive investment in the Middle East region in the past five years. More importantly, the panel will discuss a principled and strategic roadmap for the future of Canada’s short-term and long-term engagement in the Middle East.
Panelists:
– Ferry de Kerckhove: Canada’s Former Ambassador to Egypt
– Dennis Horak: Canada’s Former Ambassador to Saudi Arabia
– Chris Kilford: Former Canadian Defence Attaché in Turkey, member of the national board of the Canadian International Council (CIC)
– David Dewitt: University Professor Emeritus, York University
While the United States continues to pull back from certain regional conflicts, reflected by the Biden administration’s decision to halt American backing for Saudi Arabia’s intervention in Yemen and the expected withdrawal from Afghanistan, US troops continue to be stationed across the region. Meanwhile, Russia and China have significantly maintained and even expanded their regional activities. On one hand, the Kremlin has maintained its military presence in Syria, and on the other hand, China has signed an unprecedented 25-year strategic agreement with Iran.
As the global power structure continues to shift, it is essential to analyze the future of the US regional presence under the Biden administration, explore the emerging global rivalry with Russia and China, and at last, investigate the implications of such competition for peace and security in the Middle East.
Panelists:
– Dmitri Trenin: Director of Carnegie Moscow Center
– Joost R. Hiltermann: Director of MENA Programme, International Crisis Group
– Roxane Farmanfarmaian: Affiliated Lecturer in International Relations of the Middle East and North Africa, University of Cambridge
– Andrew A. Michta: Dean of the College of International and Security Studies at Marshall Center
– Kelley Vlahos: Senior Advisor, Quincy Institute
The security architecture of the Middle East has undergone rapid transformations in an exceptionally short period. Notable developments include the United States gradual withdrawal from the region, rapprochement between Israel and some GCC states through the Abraham Accords and the rise of Chinese and Russian regional engagement.
With these new trends in the Middle East, it is timely to investigate the security implications of the Biden administration’s Middle East policy. In this respect, we will discuss the Biden team’s new approach vis-à-vis Iran, Yemen, Saudi Arabia, and Israel. The panel will also discuss the role of other major powers, including China and Russia in shaping this new security environment in the region, and how the Biden administration will respond to these powers’ increasing regional presence.
Panelists:
– Sanam Vakil: Deputy Director of MENA Programme at Chatham House
– Denise Natali: Acting Director, Institute for National Strategic Studies & Director of the Center for Strategic Research, National Defense University
– Hassan Ahmadian: Professor of the Middle East and North Africa Studies, University of Tehran
– Abdulaziz Sagar: Chairman, Gulf Research Center
– Andrew Parasiliti: President, Al-Monitor