Les BRICS peuvent-ils se hisser au niveau des pays du G7 et, peut-être, les détrôner dans quelques années ? Poser la question, c’est d’abord tenter de comprendre comment un groupe de 5 pays, bientôt 11, a pu en une quinzaine d’années s’imposer sur la scène internationale et modifier ainsi les rapports de force au point de susciter questions et craintes au sein du monde occidental.

Les BRICS, acronyme anglais de Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud, sont nés d’une volonté bien affichée : mettre au programme des affaires internationales les préoccupations des pays en développement, essentiellement des pays du Sud qui forment l’immense majorité des États membres de l’ONU et de la population mondiale.

Ce n’est pas la première fois que ce que l’on appelle désormais le « Sud global » tente de s’organiser pour avoir un poids sur le plan diplomatique et économique. Le Mouvement des non-alignés fondé en 1955 lors d’une conférence réunissant 29 pays africains et asiatiques avait comme point commun son refus d’adhérer au camp américain ou soviétique et comme objectif de tracer sa propre voie en matière de développement. Avec le temps, il avait gagné en effectif jusqu’à réunir quelque 120 pays. Toutefois, avec le durcissement de la guerre froide, une bonne partie de ses membres n’avait de non alignés que l’étiquette. Par exemple, Cuba était dans le camp soviétique, le Maroc dans le camp américain, et la Yougoslavie, pourtant membre fondateur du mouvement, avait des accords secrets avec l’Occident en cas de pépin avec le bloc de l’Est.

Le mouvement a toujours manqué de cohésion et il n’est plus que l’ombre de lui-même. Aujourd’hui, on peut dire d’une certaine façon que les BRICS ont repris le flambeau.

Cette fois, ce regroupement a les moyens de faire entendre sa voix. Et ces moyens commencent à rendre le monde occidental nerveux, très nerveux.

À leur première rencontre en 2009, les BRICS avaient fait ricaner en Occident et particulièrement aux États-Unis. À première vue, les ricaneurs n’avaient pas tout à fait tort. En effet, qu’est-ce qui pouvait bien unir deux régimes autoritaires – la Chine et la Russie – et trois démocraties – l’Inde, le Brésil et l’Afrique du Sud ? L’attelage n’avait pas l’homogénéité du G7, de l’OTAN et de l’Union européenne. Par ailleurs, la Chine et l’Inde étaient ouvertement en guerre. On ne donnait pas cher de l’avenir du regroupement.

Pourtant, les BRICS ont fait leur chemin et construit leur maison au point où ils rivalisent désormais avec les autres grands regroupements comme le G7 et le G20. Ce qui explique sans doute pourquoi, cette année, vingt-deux pays avaient officiellement posé leur candidature à l’adhésion et six – Égypte, Iran, Arabie saoudite, Émirats arabes unis, Argentine et Éthiopie – ont été choisis pour rejoindre le groupe en janvier prochain.

Projet écononomique

Les BRICS sont d’abord un projet économique. La puissance réunie par les cinq membres fondateurs représente déjà 26 % du PIB mondial et le commerce entre eux a connu une véritable explosion au cours des cinq dernières années. Si leurs économies ont ralenti depuis peu, elles affichent des taux de croissance supérieurs à ceux des pays occidentaux. L’addition de six nouveaux membres au profil économique très contrasté va toutefois permettre au regroupement de représenter la moitié de la population du monde, 37 % du PIB et plus de 50 % des réserves d’hydrocarbures. Le G7, lui, affichera à peine 30 % de la puissance économique mondiale.

Sur le plan diplomatique, les BRICS à 11 vont de plus en plus peser sur les décisions internationales. Si la coordination économique visant à créer une monnaie unique ou même à accélérer la dédollarisation du commerce parmi ses membres risque de prendre beaucoup de temps, l’unité politique n’est pas une chimère. Les ricaneurs pourraient bientôt cesser de ricaner.

Les BRICS ne deviendront pas une organisation militaire et politique fortement encadrée par un seul pays – la Chine – comme peut l’être l’OTAN avec les États-Unis. Ils n’ont pas été créés pour ça. L’objectif des BRICS est de forcer un changement de la structure du système international, conçu par les Occidentaux après 1945, pour y faire entrer les nouvelles puissances émergentes dans le but de partager le pouvoir.

Les BRICS pourront différer entre eux sur certains enjeux internationaux, mais ils vont garder une unité de vue sur leur volonté fondamentale consistant à restructurer l’ordre international.

Ils ont d’ailleurs déjà commencé à faire entendre une voix différente sur l’Ukraine. Le groupe initial des cinq n’a pas adopté de sanctions contre la Russie et maintient une attitude neutre dans ce conflit. Cela ne devrait pas changer avec l’adhésion des six nouveaux membres. La raison de ce comportement est simple : ces pays estiment que trop de temps et de ressources sont consacrés à la question ukrainienne au détriment des problèmes du « Sud global ». En clair, ce qui intéresse le milliard d’Occidentaux n’est pas ce qui préoccupe les sept autres milliards d’habitants de la planète.

Cette position a déjà commencé à provoquer quelques flammèches. L’Inde accueille les 9 et 10 septembre le sommet du G20 et a déjà indiqué qu’elle n’accorderait aucune priorité à la question ukrainienne afin de laisser toute sa place aux « questions qui affectent de manière disproportionnée les pays en développement ». Elle a du même coup confirmé que le président Zelenski n’avait pas été invité au sommet.

L’absence du président ukrainien, invité l’an dernier, a fait bondir Justin Trudeau. Il s’est dit choqué par cette décision. Sa réaction n’est pas surprenante. Il se trompe d’époque. Le temps où les États du « Sud global » étaient passifs devant l’Occident est révolu. Ils ne peuvent tout simplement plus supporter le ton paternaliste venant du Nord. Ils veulent prendre leurs propres décisions. Il est temps que nous le comprenions.

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